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menai une demi-heure dans ma chambre, puis prenant une chemise et mes trente louis, je descendis l’escalier, je demandai le cordon, la porte s’ouvrit, je sautai dans la rue. Je ne savais point encore ce que je voulais faire. En général, ce qui m’a le plus aidé dans ma vie à prendre des partis très absurdes, mais qui semblaient du moins supposer une grande décision de caractère, c’est précisément l’absence complète de cette décision, et le sentiment que j’ai toujours eu, que ce que je faisais n’était rien moins qu’irrévocable dans mon esprit. De la sorte, rassuré par mon incertitude même sur les conséquences d’une folie que je me disais que je ne ferais peut-être pas, j’ai fait un pas après l’autre et la folie s’est trouvée faite.

Cette fois, ce fut absolument de cette manière que je me laissai entraîner à ma ridicule évasion. Je réfléchis quelques instants à l’asile que je choisirais pour la nuit, et j’allai demander l’hospitalité à une personne de vertu moyenne que j’avais connue au commencement de l’hiver. Elle me reçut avec toute la tendresse de son état. Mais je lui dis qu’il ne s’agissait point de ses charmes, que j’avais une course de quelques