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hasard, j’avais emporté dans ma poche une petite bouteille d’opium que je trimballais avec moi depuis quelque temps. C’était en suite de ma liaison avec Madame de Charrière, qui prenant beaucoup d’opium dans sa maladie, m’avait donné l’idée d’en avoir, et dont la conversation toujours abondante, vigoureuse, mais très bizarre, me tenait dans une espèce d’ivresse spirituelle, qui n’a pas peu contribué à toutes les sottises que j’ai faites à cette époque.

Je répétais sans cesse que je voulais me tuer, et à force de le dire je parvenais presque à le croire, quoique dans le fond je n’en eusse pas la moindre envie. Ayant donc mon opium en poche au moment où je me vis traduit en spectacle devant M. de Sainte-Croix, j’éprouvai une espèce d’embarras dont il me parut plus facile de me tirer par une scène que par une conversation tranquille. Je prévoyais que M. de Sainte-Croix me ferait des questions, me témoignerait de l’intérêt, et comme je me trouvais humilié, ces questions, cet intérêt, tout ce qui pouvait prolonger la situation m’était insupportable. J’étais sûr qu’en avalant mon opium je ferais diversion à tout cela. Ensuite, j’avais depuis