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Il ne me parla que de ce qui se rapportait à mon voyage et je montai en voiture sans une parole un peu claire sur l’équipée que je venais de faire ou le repentir que j’en eus, et sans que mon père m’eût dit un mot qui montrât qu’il en eût été triste ou mécontent. Le Bernois avec qui je faisais route était d’une des familles aristocratiques de Berne. Mon père avait ce gouvernement en horreur et m’avait élevé dans ces principes. Ni lui ni moi ne savions alors que presque tous les vieux gouvernements sont doux parce qu’ils sont vieux et tous les nouveaux gouvernements durs, parce qu’ils sont nouveaux. J’excepte pourtant le despotisme absolu comme celui de Turquie ou de Russie parce que tout dépend d’un homme seul, qui devient fou de pouvoir, et alors les inconvénients de la nouveauté qui ne sont pas dans l’institution sont dans l’homme. Mon père passait sa vie à déclamer contre l’aristocratie bernoise, et je répétais ses déclamations. Nous ne réfléchissions pas que nos déclamations mêmes, par cela seul qu’elles étaient sans inconvénients pour nous, se démontraient fausses ; elles ne le furent pourtant pas toujours sans inconvénient. À force d’accuser