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jusqu’à la souffrance, esprit remarquable, beau regard, figure un peu dégradée, voilà son portrait. — J’ai lu une réfutation de Wulf par Sainte-Croix, réfutation française ! L’auteur ne s’est même pas donné la peine de réfléchir sur l’Iliade et l’Odyssée. Mais il a écrit pour la gloire d’Homère. Le sot ! — Dîné dans le monde ; je cause après dîner avec Wieland. Esprit français, froid comme un philosophe et léger comme un poète. — Une promenade à cheval, ce qui me convient toujours, m’a remis en train pour mon ouvrage. J’ai partagé mon temps entre Herder et Meiners. Herder est comme un lit bien chaud et bien doux où l’on rêve agréablement. Meiners est utile, mais ennuyeux. (De vero Deo.)

Le 3. — J’ai mieux travaillé, puis monté à cheval. Ensuite j’ai dîné avec Müller l’historien, homme vif et spirituel, ayant de l’amour pour la liberté, étant vis-à-vis de son gouvernement dans l’état de nos philosophes, avant la Révolution, vis-à-vis du leur. Il connaît bien l’état de l’Europe et est plein d’amour-propre, mais assez bon enfant. — Wieland, lui, est incrédule au fond, mais désirerait croire, parce que cela conviendrait à son imagination qu’il voudrait rendre poétique et parce qu’il est vieux. — Passé une soirée insipide avec des femmes insipides pour voir jouer Andromaque. Racine est bien le plus grand, peut-être le seul poète français, mais il n’y a de parfait chez lui qu'Athalie, la partie politique de Britannicus et quelques scènes de Phèdre.

Le 4. — J’ai mené Albertine de Staël à la comédie. C’est une charmante enfant. On jouait la Maison à vendre, comédie allemande, tirée d’un opéra français. Comme la gaîté allemande est lourde !

Le 6. — Commencé le plan du cinquième livre de mon ouvrage, puis fait une promenade avec Bötticher. Quelle foule de connaissances il a, mais elles ont l’air de l’empêcher d’arriver à des résultats au lieu de l’y