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invisible et précieux qu’elle lègue à ses descendans[1]. La perte de ce trésor est pour un peuple un mal incalculable. En l’en dépouillant, vous lui ôtez tout sentiment de sa valeur et de sa dignité propre. Lors même que ce que vous y substituez vaudroit mieux, comme ce dont vous le privez lui étoit respectable, et que vous lui imposez votre amélioration par la force, le résultat de votre opération est simplement de lui faire commettre un acte de lâcheté qui l’avilit et le démoralise.

La bonté des lois est, osons le dire, une chose beaucoup moins importante que l’esprit avec lequel une nation se soumet à ses lois, et leur obéit. Si elle les chérit, si elle les observe, parce qu’elles lui paraissent émanées d’une source sainte, le don des générations dont elle révère les mânes, elles se rattachent intimement à sa moralité ; elles annoblissent son caractère ; et lors même qu’elles sont fautives, elles produisent plus de vertus, et par là plus de bonheur que des lois meilleures, qui ne seroient appuyées que sur l’ordre de l’autorité.

J’ai pour le passé, je l’avoue, beaucoup de vénération ; et chaque jour, à mesure que l’expérience m’instruit ou que la réflexion m’éclaire, cette vénération augmente. Je le

  1. M. Rehberg, dans son excellent ouvrage sur le Code Napoléon, page 8.