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intellectuel, il est inutile de lutter contre la force. Ainsi la nation tombera dans une dégradation morale, et dans une ignorance toujours croissante. Elle s’abrutira au milieu des victoires, et, sous ses lauriers même, elle sera poursuivie du sentiment qu’elle suit une fausse route, et qu’elle manque sa destination[1].

Tous nos raisonnemens, sans doute ne sont applicables que lorsqu’il s’agit de guerres inutiles et gratuites. Aucune considération ne peut entrer en balance avec la nécessité de repousser un agresseur. Alors toutes les classes doivent accourir, puisque toutes sont également menacées. Mais leur motif n’étant pas un ignoble pillage, elles ne se corrompent point. Leur zèle s’appuyant sur la conviction, la contrainte devient superflue. L’interruption qu’éprouvent les occupations sociales, motivée qu’elle est sur les obligations les plus saintes, et les intérêts les plus chers, n’a pas les mêmes effets que des interruptions arbitraires. Le peuple en voit le terme ; il s’y soumet avec joie, comme à un moyen de rentrer dans un état de repos ; et quand il y rentre, c’est avec

  1. Il y avoit, en France, sous la monarchie, soixante mille hommes de milice. L’engagement étoit de six ans. Ainsi le sort tomboit chaque année sur dix mille hommes. M. Necker appelle la milice une effrayante loterie. Qu’auroit-il dit de la conscription ?