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casernes les jeunes rejetons de la classe éclairée, dans laquelle résident, comme un dépôt précieux, l’instruction, la délicatesse, la justesse des idées, et cette tradition de douceur, de noblesse et d’élégance qui seule nous distingue des barbares, c’est faire à la nation toute entière un mal que ne compensent ni ses vains succès, ni la terreur qu’elle inspire, terreur qui n’est pour elle d’aucun avantage.

Vouer au métier de soldat le fils du commerçant, de l’artiste, du magistrat, le jeune homme qui se consacre aux lettres, aux sciences, à l’exercice de quelque industrie difficile et compliquée, c’est lui dérober tout le fruit de son éducation antérieure. Cette éducation même se ressentira de la perspective d’une interruption inévitable. Si les rêves brillans de la gloire militaire enivrent l’imagination de la jeunesse, elle dédaignera les études paisibles, les occupations sédentaires, le travail d’attention, contraire à ses goûts et à la mobilité de ses facultés naissantes. Si c’est avec douleur qu’elle se voit arrachée à ses foyers, si elle calcule combien le sacrifice de plusieurs années apportera de retard à ses progrès, elle désespérera d’elle-même ; elle ne voudra pas se consumer en efforts dont une main de fer lui déroberoit le fruit. Elle se dira que, puisque l’autorité lui dispute le temps nécessaire à son perfectionnement