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paternel transformé en attentat, la tendresse filiale traitée de révolte ; et toutes ces vexations auront lieu, non pour une défense légitime, mais pour l’acquisition de pays éloignés, dont la possession n’ajoute rien à la prospérité nationale, à moins qu’on n’appelle prospérité nationale le vain renom de quelques hommes et leur funeste célébrité !

Soyons justes pourtant. On offre des consolations à ces victimes, destinées à combattre et à périr aux extrémités de la terre. Regardez-les, elles chancellent en suivant leurs guides. On les a plongées dans un état d’ivresse qui leur inspire une gaieté grossière et forcée. Les airs sont frappés de leurs clameurs bruyantes : les hameaux retentissent de leurs chants licencieux. Cette ivresse, ces clameurs, cette licence, qui le croiroit ? c’est le chef-d’oeuvre de leurs magistrats !

Etrange renversement produit, dans l’action de l’autorité, par le système des conquêtes ! Durant vingt années, vous avez recommandé à ces mêmes hommes la sobriété, l’attachement à leurs familles, l’assiduité dans leurs travaux ; mais il faut envahir le Monde ! On les saisit, on les entraîne, on les excite au mépris des vertus qu’on leur avoit longtemps inculquées. On les étourdit par l’intempérance, on les ranime par la débauche : c’est ce qu’on appelle raviver l’esprit public.