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un pays, par un système de guerres prolongées ou renouvelées sans cesse, une masse nombreuse, imbue exclusivement de l’esprit militaire. Car cet inconvénient ne peut se restreindre dans de certaines limites, qui en rendent l’importance moins sensible. L’armée, distincte du peuple par son esprit, se confond avec lui dans l’administration des affaires.

Un gouvernement conquérant est plus intéressé qu’un autre à récompenser par du pouvoir et par des honneurs ses instruments immédiats. Il ne sauroit les tenir dans un camp retranché. Il faut qu’il les décore au contraire des pompes et des dignités civiles.

Mais ces guerriers déposeront-ils avec le fer qui les couvre l’esprit dont les a pénétrés dès leur enfance l’habitude des périls ? Revêtiront-ils avec la toge, la vénération pour les lois, les ménagements pour les formes protectrices, ces divinités des associations humaines ? La classe désarmée leur paroît un ignoble vulgaire, les lois des subtilités inutiles, les formes d’insupportables lenteurs. Ils estiment par dessus tout, dans les transactions comme dans les faits guerriers, la rapidité des évolutions. L’unanimité leur semble nécessaire dans les opinions, comme le même uniforme dans les troupes. L’opposition leur est un désordre, le raisonnement une révolte, les tribunaux des conseils de guerre, les juges des soldats qui