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un dédommagement au pillage devenu impossible contre l’étranger ; le malade dépouilleroit le mourant ; le fuyard dépouilleroit le malade. L’infirme et le blessé paroitroient à l’officier chargé de leur sort un poids importun dont il se dêbarrasseroit a tout prix ; et quand le général auroit précipité son armée dans quelque situation sans remède, il ne se croiroit tenu à rien envers les infortunés qu’il auroit conduits dans le gouffre ; il ne resteroit point avec eux pour les sauver. La désertion lui sembleroit un mode tout simple d’échapper aux revers ou de réparer les fautes. Qu’importe qu’il les ait guidés, qu’ils se soient reposés sur sa parole, qu’ils lui aient confié leur vie, qu’ils l’aient défendu jusqu’au dernier moment, de leurs mains mourantes ? Instrumens inutiles, ne faut-il pas qu’ils soient brisés ?

Sans doute ces conséquences de l’esprit militaire fondé sur des motifs purement intéressés ne pourroient se manifester dans leur terrible étendue chez aucun peuple moderne, à moins que le système conquérant ne se prolongeât durant plusieurs générations. Grâces au ciel, les Français, malgré tous les efforts de leur chef, sont restés et resteront toujours loin du terme vers lequel il les entraîne. Les vertus paisibles, que notre civilisation nourrit et développe, luttent encore victorieusement