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Carthage, luttant avec Rome dans l’antiquité, devoit succomber : elle avoit contre elle la force des choses. Mais si la lutte s’établissoit maintenant entre Rome et Carthage, Carthage auroit pour elle les voeux de l’univers. Elle auroit pour alliés les moeurs actuelles et le génie du monde.

La situation des peuples modernes les empêche donc d’être belliqueux par caractère : et des raisons de détail, mais toujours tirées des progrès de l’espèce humaine, et par conséquent de la différence des époques, viennent se joindre aux causes générales.

La nouvelle manière de combattre, le changement des armes, l’artillerie, ont dépouillé la vie militaire de ce qu’elle avoit de plus attrayant. Il n’y a plus de lutte contre le péril ; il n’y a que de la fatalité. Le courage doit s’empreindre de résignation ou se composer d’insouciance. On ne goûte plus cette jouissance de volonté, d’action, de développement des forces physiques et des facultés morales, qui faisoit aimer aux héros anciens, aux chevaliers du moyen âge, les combats corps à corps.

La guerre a donc perdu son charme, comme son utilité. L’homme n’est plus entraîné à s’y livrer, ni par intérêt, ni par passion.