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sans lettres, sans arts, n’ayant pour occupation intérieure que l’agriculture, restreinte à un sol trop peu étendu pour ses habitants, entourée de peuples barbares, et toujours menacée ou menaçante, suivoit sa destinée en se livrant à des entreprises militaires non interrompues. Un gouvernement qui, de nos jours, voudroit imiter la république romaine, auroit ceci de différent, qu’agissant en opposition avec son peuple, il rendroit ses instrusments tout aussi malheureux que ses victimes ; un peuple ainsi gouverné seroit la République romaine, moins la liberté, moins le mouvement national, qui facilite tous les sacrifices, moins l’espoir qu’avoit chaque individu du partage des terres, moins en un mot, toutes les circonstances qui embellissoient aux yeux des Romains ce genre de vie hasardeux et agité.

Le commerce a modifié jusqu’à la nature de la guerre. Les nations mercantiles étoient autrefois toujours subjuguées par les peuples guerriers. Elles leur résistent aujourd’hui avec avantage. Elles ont des auxiliaires au sein de ces peuples mêmes. Les ramifications infinies et compliquées du commerce ont placé l’intérêt des sociétés hors des limites de leur territoire : et l’esprit du siècle l’emporte sur l’esprit étroit et hostile qu’on voudroit parer du nom de patriotisme.