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Une considération m’a frappé en examinant les deux caractères du comte d’Erfeuil et de M. de Maltigues ; c’est qu’il y a entre eux un rapport direct, bien qu’ils suivent une ligne tout opposée. Leur premier principe n’est-il pas qu’il faut prendre le monde comme il est et les choses comme elles vont, ne s’appesantir sur rien, ne pas vouloir réformer son siècle, n’attacher à rien une importance exagérée ? Le comte d’Erfeuil adopte la théorie, M. de Maltigues en tire les résultats ; mais les hommes comme M. de Maltigues ne pourraient pas réussir, si les hommes comme le comte d’Erfeuil n’existaient pas. Le comte d’Erfeuil est la frivolité bonne et honnête ; M. de Maltigues, l’égoïsme spéculant sur la frivolité, et profitant de l’impunité qu’elle lui assure ; tant il est vrai qu’il n’y a de moral que ce qui est profond ; qu’en repoussant les impressions sérieuses, on ôte à la vertu toute garantie et toute base ; que, sans enthousiasme, c’est-à-dire sans émotions désintéressées, il n’y a que du calcul, et que le calcul conduit à tout. Ce caractère n’est au reste que le développement d’une pensée que Mme de Staël avait indiquée dans son ouvrage sur la littérature. Depuis longtemps, avait-elle dit, on appelle caractère décidé celui qui marche à son intérêt, au mépris de tous ses devoirs ; un homme spirituel, celui qui trahit successivement avec art