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de ses yeux, dans un spectacle allemand, un comédien français s’avançant pour haranguer le parterre, et commençant son discours par ces paroles : « Respectables étrangers… » M. de Maltigues est un autre caractère dont on n’a pas assez remarqué la profondeur, parce que Mme de Staël ne l’a montré qu’en passant. C’est un homme très corrompu, ne voyant dans la vie de but que le succès, professant cette opinion avec une sorte d’impudeur qui naît de la vanité, mais la pratiquant avec adresse. M. de Maltigues est le résultat d’un siècle où l’on a dit que la morale n’était qu’un calcul bien entendu, et qu’il fallait surtout jouir de la vie ; où l’on a créé contre tous les genres d’enthousiasmes le mot puissant de « niaiserie ». La bravoure est sa seule vertu, parce qu’elle est utile aux méchants contre les bons, tout comme aux bons contre les méchants. Il est fâcheux que Mme de Staël n’ait pas mis le caractère de M. de Maltigues en action ; elle aurait pu le développer d’une façon très piquante. On l’aurait vu peut-être réussir dans le monde par la hardiesse même de son immoralité ; car il y a une grande masse d’hommes qui regardent l’immoralité professée comme une confidence qu’on leur fait, sont flattés de cette confidence, et ne sentent point qu’en se moquant ainsi avec eux des choses les plus sérieuses, c’est d’eux qu’on se moque en réalité.