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Les deux qualités dominantes de Mme de Staël étaient l’affection et la pitié. Elle avait, comme tous les génies supérieurs, une grande passion pour la gloire ; elle avait comme toutes les âmes élevées, un grand amour pour la liberté : mais ces deux sentiments, impérieux et irrésistibles, quand ils n’étaient combattus par aucun autre, cédaient à l’instant, lorsque la moindre circonstance les mettait en opposition avec le bonheur de ceux qu’elle aimait, ou lorsque la vue d’un être souffrant lui rappelait qu’il y avait dans le monde quelque chose de bien plus sacré pour elle que le succès d’une cause ou le triomphe d’une opinion. Cette disposition d’âme n’était pas propre à la rendre heureuse, au milieu des orages d’une révolution à laquelle la carrière politique de son père et sa situation en France l’auraient forcée de s’intéresser, quand elle n’y eût pas été entraînée par l’énergie de son caractère et la vivacité de ses impressions. Après chacun de ces succès éphémères qu’ont remportés tour à tour les divers partis, sans jamais savoir affermir par la justice un pouvoir obtenu par la violence, Mme de Staël s’est constamment rangée parmi les vaincus, lors même qu’elle était séparée d’eux avant leur défaite. Peut-être, pour entretenir des regrets unanimes, faudrait-il ne parler d’elle que sous le rapport des qualités privées ou du talent littéraire, et passer sous silence tout ce qui tient