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me donnait, en quelque sorte, la sensation de l’immensité. Je n’avais rien éprouvé de pareil depuis longtemps : sans cesse absorbé dans des réflexions toujours personnelles, la vue toujours fixée sur ma situation, j’étais devenu étranger à toute idée générale ; je ne m’occupais que d’Ellénore et de moi : d’Ellénore, qui ne m’inspirait qu’une pitié mêlée de fatigue ; de moi, pour qui je n’avais plus aucune estime. Je m’étais rapetissé, pour ainsi dire, dans un nouveau genre d’égoïsme, dans un égoïsme sans courage, mécontent et humilié ; je me sus bon gré de renaître à des pensées d’un autre ordre, et de me retrouver la faculté de m’oublier moi-même, pour me livrer à des méditations désintéressées ; mon âme semblait se relever d’une dégradation longue et honteuse.

La nuit presque entière s’écoula ainsi. Je marchais au hasard ; je parcourus des champs, des bois, des hameaux où tout était immobile. De temps en temps j’apercevais dans quelque