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le ciel m’eût accordé une femme que les convenances sociales me permissent d’avouer, que mon père ne rougît pas d’accepter pour fille, j’aurais été mille fois heureux de la rendre heureuse. Cette sensibilité que l’on méconnaît parce qu’elle est souffrante et froissée, cette sensibilité dont on exige impérieusement des témoignages que mon cœur refuse à l’emportement et à la menace, qu’il me serait doux de m’y livrer avec l’être chéri compagnon d’une vie régulière et respectée ! Que n’ai-je pas fait pour Ellénore ? Pour elle j’ai quitté mon pays et ma famille ; j’ai pour elle affligé le cœur d’un vieux père qui gémit encore loin de moi ; pour elle j’habite ces lieux où ma jeunesse s’enfuit solitaire, sans gloire, sans honneur et sans plaisir : tant de sacrifices faits sans devoir et sans amour ne prouvent-ils pas ce que l’amour et le devoir me rendraient capable de faire ? Si je crains tellement la douleur d’une femme qui ne me domine que par sa douleur, avec quel soin j’é-