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bonheur aveugle et crédule, il ne serait pas vain, il ne dédaignerait pas.

Une fois engagé dans la voie préférée, l’emploi légitime de ses forces suffirait à l’occuper. L’œil attaché sur l’horizon lointain, mais sûr d’arriver, il ne détournerait pas la tête pour regarder en arrière ; il se résignerait de bonne grâce à la continuité harmonieuse de ses efforts. Si haut que fût placé le fruit doré de ses espérances, le courage ne lui manquerait pas avant de le cueillir.

Mais comme il n’a pas mesuré sa volonté à sa puissance, comme il a tout désiré sans rien vouloir, il s’ennuie, il dédaigne, il ne prévoit pas.

Ellénore a déjà aimé ; elle a déjà connu toutes les angoisses et tous les égarements de la passion ; elle s’est isolée du monde entier, pour assurer le bonheur de celui qu’elle a préféré. Elle a renoncé volontairement à tous les avantages de la fortune et de la naissance ; elle a déserté sa famille et son pays. Dans l’ardeur de son dévouement, elle aurait voulu pouvoir renouveler autour d’elle ce qu’elle venait de détruire, afin d’agrandir à toute heure le domaine de son abnégation.

Elle croyait, la pauvre femme, que son enthousiasme ne s’éteindrait jamais ; elle espérait que le cœur en qui elle s’était confiée ne mé-