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tention publique par des entreprises belliqueuses. La guerre jetait sur des plages lointaines la portion encore énergique des Français. Elle motivait les vexations de la police contre la portion timide qu’elle ne pouvait chasser au dehors. Elle frappait les esprits de terreur, et laissait au fond des cœurs un certain espoir que le hasard se chargerait de la délivrance : espoir agréable à la peur et commode pour l’inertie. Que de fois j’ai entendu des hommes qu’on pressait de résister à la tyrannie, ajourner, en temps de guerre à la paix, en temps de paix à la guerre !

J’ai donc eu raison de dire qu’un usurpateur n’a de ressource que dans des guerres non interrompues. On me répond : Mais si Buonaparte eût été pacifique ? S’il eût été pacifique, il ne se fût pas maintenu douze ans ; la paix eût rétabli les communications entre les divers pays de l’Europe. Ces communications auraient rendu à la pensée des organes. Les ouvrages, imprimés dans l’étranger, se seraient introduits clandestinement. Les Français auraient vu qu’ils n’étaient pas approuvés par la majorité européenne ; le prestige n’aurait pu se soutenir. Buonaparte a si bien senti cette vérité, qu’il a rompu avec l’Angleterre pour écarter les journaux anglais. Ce n’était pas encore assez. Tant qu’une seule contrée restait libre, Buonaparte n’était pas en sûreté. Le commerce, actif, adroit, invisible, infatigable, franchissant toutes les distances et se glissant par mille détours, aurait tôt ou tard réintroduit au sein de l’empire les ennemis qu’il était si important d’en exiler. De là le système continental et la guerre avec la Russie.

Et remarquez combien il est vrai que cette nécessité de la guerre, pour la durée de l’usurpation, appartient à l’époque. Un siècle et demi plus tôt, Cromwell n’en avait pas eu besoin. Les communications d’un peuple