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nécessaire. Ils seraient tyrans par ignorance, s’ils ne l’étaient par intention. Vous voyez les mêmes institutions subsister dans la monarchie durant des siècles. Vous ne voyez pas un usurpateur qui n’ait vingt fois révoqué ses propres lois, et suspendu les formes qu’il venait d’instituer, comme un ouvrier novice et impatient brise ses outils.

Un monarque héréditaire peut exister à côté, ou pour mieux dire, à la tête d’une noblesse antique et brillante ; il est, comme elle, riche de souvenirs. Mais là où le monarque voit des soutiens, l’usurpateur voit des ennemis. Toute noblesse, dont l’existence a précédé la sienne, doit lui faire ombrage. Il faut que, pour appuyer sa nouvelle dynastie, il crée une nouvelle noblesse[1].

Mais il y a confusion d’idées dans ceux qui parlent des avantages d’une hérédité déjà reconnue pour en conclure la possibilité de créer l’hérédité. La noblesse engage, envers un homme et ses descendants, le respect des générations, non-seulement futures, mais contemporaines. Or, ce dernier point est le plus difficile. On peut bien admettre un traité pareil, lorsqu’en naissant on le trouve sanctionné ; mais assister au contrat, et s’y résigner, est impossible, si l’on n’est la partie avantagée.

L’hérédité s’introduit, dans des siècles de simplicité ou de conquête ; mais on ne l’institue pas au milieu de la civilisation. Elle peut alors se conserver, mais non s’établir. Toutes les institutions qui tiennent du prestige

  1. Un pamphlet publié contre la prétendue Chambre haute du temps de Cromwell est une preuve remarquable de l’impuissance de l’autorité dans les institutions de ce genre. Voir A reasonable speech made by a worthy member of parliament in the house of Commons, concerning the other house. March, 1659.