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armée. Pour la fonder, cette force est nécessaire ; elle l’est encore pour la conserver.

De là, sous un usurpateur, des guerres sans cesse renouvelées : ce sont des prétextes pour s’entourer de gardes ; ce sont des occasions pour façonner ces gardes à l’obéissance ; ce sont des moyens d’éblouir les esprits et de suppléer, par le prestige de la conquête, au prestige de l’antiquité. L’usurpation nous ramène au système guerrier ; elle entraîne donc tous les inconvénients que nous avons rencontrés dans ce système.

La gloire d’un monarque légitime s’accroît des gloires environnantes. Il gagne à la considération dont il entoure ses ministres. Il n’a nulle concurrence à redouter. L’usurpateur, pareil naguère ou même inférieur à ses instruments, est obligé de les avilir, pour qu’ils ne deviennent pas ses rivaux. Il les froisse, pour les employer. Aussi, regardez-y de près, toutes les âmes fières s’éloignent ; et quand les âmes fières s’éloignent, que reste-t-il ? Des hommes qui savent ramper, mais ne sauraient défendre ; des hommes qui insulteraient les premiers, après sa chute, le maître qu’ils auraient flatté[1].

Ceci fait que l’usurpation est plus dispendieuse que la monarchie. Il faut d’abord payer les agents pour qu’ils se laissent dégrader ; il faut ensuite payer ces agents dégradés pour qu’ils se rendent utiles. L’argent doit faire le service et de l’opinion et de l’honneur. Mais ces agents, tout corrompus et tout zélés qu’ils sont, n’ont pas l’habitude du gouvernement. Ni eux, ni leur maître, nouveau comme eux, ne savent tourner les obstacles. À chaque difficulté qu’ils rencontrent, la violence leur est si commode qu’elle leur paraît toujours

  1. Ceci a été écrit six mois avant la chute de Bonaparte.