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plaisance, tous les grands développements de force, tous les recours aux mesures illégales, dans les circonstances périlleuses ; ils réchauffent leur vie spéculative de toutes les démonstrations de puissance dont ils décorent leurs phrases ; ils cherchent à mettre dans leur style la rapidité qu’ils recommandent ; ils lancent de tous côtés l’arbitraire ; ils se croient, pour un moment, revêtus du pouvoir, parce qu’ils en prêchent l’abus ; ils se donnent ainsi quelque chose du plaisir de l’autorité ; ils répètent, à tue-tête, les grands mots de salut du peuple, de loi suprême, d’intérêt public ; ils sont en admiration de leur profondeur, et s’émerveillent de leur énergie. Pauvres imbéciles ! ils parlent à des hommes qui ne demandent pas mieux que de les écouter, et qui, à la première occasion, feront sur eux-mêmes l’expérience de leur théorie.

Cette vanité, qui a faussé le jugement de tant d’écrivains, a eu plus d’inconvénients qu’on ne pense, pendant nos dissensions civiles. Tous les esprits médiocres, conquérants passagers d’une portion de l’autorité, étaient remplis de toutes ces maximes, d’autant plus agréables à la sottise, qu’elles lui servent à trancher les nœuds qu’elle ne peut délier. Ils ne rêvaient que mesures de salut public, grandes mesures, coups d’État. Ils se croyaient des génies extraordinaires parce qu’ils s’écartaient, à chaque instant, des moyens ordinaires. Ils se proclamaient des têtes vastes, parce que la justice leur paraissait une chose étroite. À chaque crime politique qu’ils commettaient, on les entendait s’écrier : Nous avons encore une fois sauvé la patrie. Certes, nous devons en être suffisamment convaincus ; c’est une patrie bientôt perdue, qu’une patrie sauvée ainsi chaque jour.