Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

efforts seront infructueux. Les dépositaires de l’autorité savent qu’ils ont préparé un glaive qui n’attend qu’un bras assez fort pour le diriger contre eux. Le peuple oublierait, peut-être, que le gouvernement s’est établi sur la violation des règles qui le rendaient légitime ; mais le gouvernement ne l’oublie pas : il y pense, et pour regarder toujours comme en péril un pouvoir devenu coupable, et pour avoir sans cesse en arrière-pensée la possibilité d’un coup d’État pareil au premier ; il suit avec effort, en aveugle, au jour le jour, une route sillonnée par l’injustice ; il ne dépend pas de lui d’en suivre une meilleure. Il subit la destinée de tout gouvernement sorti de ses bornes.

Et qu’on n’espère pas rentrer dans une constitution après l’avoir violée.

Toute constitution qui a été violée est prouvée mauvaise. Car, de trois choses, une est démontrée. Ou il était impossible aux pouvoirs constitutionnels de gouverner avec la constitution, ou il n’y avait pas dans tous ces pouvoirs un intérêt égal à maintenir, cette constitution ; ou, enfin, il n’existait pas dans les pouvoirs opposés au pouvoir usurpateur des moyens suffisants de la défendre. Mais, lors même qu’on supposerait que cette constitution eût été bonne, sa puissance est détruite sur l’esprit des peuples ; elle a perdu tout ce qui la rendait respectable, tout ce qui formait son culte, par cela seul qu’on a porté atteinte à sa légalité.

J’aime à m’étendre sur ce sujet et à le présenter sous toutes ses faces, parce qu’il est bon que les écrivains réparent le mal que des écrivains ont fait. La manie de la plupart des hommes, c’est de se prétendre au-dessus de ce qu’ils sont. La manie des écrivains, c’est de se prétendre des hommes d’État. En conséquence, ils racontent presque tous avec respect, ils décrivent avec com-