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jamais aux lois établies, aux formes tutélaires, aux garanties préservatrices.

Deux avantages résulteront de cette courageuse persistance dans ce qui est juste et légal. Les gouvernements laisseront à leurs ennemis l’odieux de la violation des lois les plus saintes ; et, de plus, ils obtiendront, par le calme et par la sécurité dont leurs actes seront empreints, la confiance de cette masse timide qui resterait au moins indécise, si des mesures extraordinaires ne prouvaient, dans les dépositaires de l’autorité, le sentiment d’un péril pressant.

Il n’y a point d’excuse pour des moyens qui servent également à toutes les intentions et à tous les buts, et qui, invoqués par les hommes honnêtes contre les brigands, se retrouvent dans la bouche des brigands avec l’autorité des hommes honnêtes, avec la même apologie de la nécessité, avec le même prétexte du salut public. La loi de Valérius Publicola, qui permettait de tuer sans formalité quiconque aspirait à la tyrannie, servait alternativement les fureurs aristocratiques et populaires, et perdit la république romaine.

Que reste-t-il après une constitution violée ? La sécurité, la confiance sont détruites. Les gouvernants ont le sentiment de l’usurpation ; les gouvernés ont la conviction qu’ils sont à la merci d’un pouvoir qui s’est affranchi des lois. Toute protestation de respect pour la constitution paraît, dans les uns, une dérision ; tout appel à cette constitution paraît, dans les autres, une hostilité. En vain ceux qui, dans leur zèle imprévoyant, ont concouru à ce mouvement désordonné, veulent-ils l’arrêter dans ses déplorables conséquences ; ils ne trouvent plus de point d’appui. Ce remède est hors de la portée des hommes ; la digue est rompue ; l’arbitraire est déchaîné. En admettant les intentions les plus pures, tous les