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je désire le maintien de ces formes comme garantie du repos et de la liberté, je ne puis consentir à ce que, sous prétexte de les conserver, on prenne des moyens qui détruisent l’une et troublent l’autre ; je n’y puis consentir, parce qu’on marche contre le but qu’on allègue, qu’on sacrifie le fond sans sauver les formes. Car, il ne faut pas s’y tromper, lorsqu’un gouvernement n’a de ressource pour prolonger sa durée que dans les mesures illégales, ces mesures ne retardent sa perte que de peu d’instants, et le renversement qu’il voulait prévenir s’opère ensuite avec plus de malheurs et de honte.

L’on est convenu d’admirer, de siècle en siècle, certains exemples d’une rapidité extra-constitutionnelle, extra-judiciaire, qui, dit-on, sauve les États en ne laissant pas aux séditieux le temps de se reconnaître ; et, lorsqu’on raconte ces attentats politiques, on les considère isolément, comme si les faits qui les ont suivis ne faisaient pas partie de leurs conséquences[1].

Sans doute il y a, pour les sociétés politiques, des moments de danger que toute la prudence humaine a peine à conjurer ; mais il est des actions que l’amour de la vie ne légitime pas dans les individus : il en est de même pour les gouvernements, et si l’on veut prendre conseil de l’expérience et de l’histoire de tous les peuples, on cessera de qualifier cette règle de morale niaise. Si la chute est inévitable, pourquoi joindre au malheur certain le crime inutile ? Si le péril peut se conjurer, ce ne sera point par la violence, par la suppression de la justice, mais en adhérant plus scrupuleusement que

  1. Ici l’auteur cite l’exemple des Gracques, des complices de Catilina et des Guises. Ce qu’il dit à ce sujet, il le répète, presque dans les mêmes termes, dans le chapitre intitulé : De l’effet des mesures illégales et despotiques dans les gouvernements réguliers eux-mêmes. Le lecteur trouvera donc dans ce chapitre ce que nous retranchons ici.
    (Note de l’éditeur.)