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ment public ; et si toutes les autorités réunies veulent profiter de l’expérience pour opérer des changements qui n’attentent ni au principe de la représentation, ni à la sûreté personnelle, ni à la manifestation de la pensée, ni à l’indépendance du pouvoir judiciaire, laissez-leur toute liberté sous ce rapport… Quelle est la garantie d’un gouvernement durable ? dit Aristote. C’est que les différents ordres de l’État l’aiment tel qu’il est et n’y veuillent pas de changement.

Les constitutions se font rarement par la volonté des hommes, le temps les fait ; elles s’introduisent graduellement, et d’une manière insensible. Cependant, il y a des circonstances qui rendent indispensable de faire une constitution ; mais alors ne faites que ce qui est indispensable ; laissez de l’espace au temps et à l’expérience, pour que ces deux puissances réformatrices dirigent vos pouvoirs déjà constitués, dans l’amélioration de ce qui est fait, dans l’achèvement de ce qui reste à faire[1].


  1. À propos de ce passage, M. Laboulaye, dans son Étude de la Revue nationale, dit avec raison : « Sages conseils, qu’on a eu tort de méconnaître en 1848 ; on leur a préféré les théories de la révolution, sans comprendre que nulle loi ne peut faire qu’une erreur soit la vérité, et que les faits donnent toujours un terrible démenti aux vanités d’une fausse théorie. » Les Constitutions et les Chartes qui ont régi la France depuis la révolution sont celle de 1791, votée par l’Assemblée nationale ; celle de 1793, nommée aussi Acte constitutionnel, votée par la Convention ; celle de l’an III (1795), également votée par la Convention ; celle de l’an VIII (1799), votée par 3 011 017 électeurs sur 3 012 369. Elle confiait le pouvoir exécutif à trois consuls, élus, les deux premiers pour dix ans, le troisième pour cinq ans, et tous rééligibles. Elle créait un tribunat de cent membres, un Corps législatif de trois cents membres, renouvelé par cinquième tous les ans, et un Sénat de quatre-vingt membres élus à Vie. Les consuls proposaient les lois ; le tribunat les discutait et les amendait ; le Corps législatif les votait ou les rejetait, et le Sénat veillait à leur conservation ; la Constitution de l’an VIII fut modifiée une première fois parle sénatus-consulte organique de l’an X qui rendit viagères et inamovibles les fonctions des consuls, et par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII qui établit