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Oui, sans doute, il faut employer tous les éléments qui survivent à nos troubles, mais de tous ces éléments, le plus réel aujourd’hui, après nos fautes et nos douleurs, c’est notre expérience. Cette expérience nous dit que l’anarchie est un mal, car nous avons connu l’anarchie ; mais cette expérience ne nous dit pas moins que le despotisme est un mal, car nous avons éprouvé le despotisme.

La France sait que la liberté politique lui est aussi nécessaire que la liberté civile. Elle ne croit plus que, pourvu, comme on le dit, qu’un peuple soit heureux, il est inutile qu’il soit libre politiquement. Elle sait que la liberté n’est autre chose que la faculté d’être heureux sans qu’aucune puissance humaine trouble arbitrairement ce bonheur. Si la liberté politique ne fait pas partie de nos jouissances immédiates, c’est elle qui les garantit. La déclarer inutile, c’est déclarer superflus les fondements de l’édifice qu’on veut habiter.

Je ne connais rien de si ridicule que ce qui s’est renouvelé sans cesse durant notre révolution. Une constitution se discute ; on la décrète, on la met en activité. Mille lacunes se découvrent, mille superfluités se rencontrent, mille doutes s’élèvent. On commente la constitution, on l’interprète comme un manuscrit ancien qu’on aurait nouvellement déterré. La constitution ne s’explique pas, dit-on, la constitution se tait, la constitution a des parties ténébreuses. Croyez-vous donc qu’un peuple se gouverne par des énigmes ? Ce qui fut hier l’objet d’une critique sévère et publique peut-il aujourd’hui, tout à coup, se transformer en objet de vénération silencieuse et d’implicite adoration !

Organisez bien vos divers pouvoirs, intéressez toute leur existence, toute leur moralité, toutes leurs espérances honorables à la conservation de votre établisse-