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son des progrès de la civilisation. Beaucoup de choses que nous admirons et qui nous semblent touchantes à d’autres époques, sont maintenant inadmissibles. Représentez-vous les rois de France rendant aux pieds d’un chêne la justice à leurs sujets, vous serez ému de ce spectacle, et vous révérerez cet exercice auguste et naïf d’une autorité paternelle ; mais aujourd’hui, que verrait-on dans un jugement rendu par un roi, sans le concours des tribunaux ? la violation de tous les principes, la confusion de tous les pouvoirs, la destruction de l’indépendance judiciaire, si énergiquement voulue par toutes les classes. On ne fait pas une monarchie constitutionnelle avec des souvenirs et de la poésie.

Il reste aux monarques, sous une constitution libre, de nobles, belles, sublimes prérogatives. À eux appartient ce droit de faire grâce, droit d’une nature presque divine, qui répare les erreurs de la justice humaine, ou ses sévérités trop inflexibles qui sont aussi des erreurs : à eux appartient le droit d’investir les citoyens distingués d’une illustration durable, en les plaçant dans cette magistrature héréditaire, qui réunit l’éclat du passé à la solennité des plus hautes fonctions politiques : à eux appartient le droit de nommer les organes des lois, et d’assurer à la société la jouissance de l’ordre public, et à l’innocence la sécurité : à eux appartient le droit de dissoudre les assemblées représentatives et de préserver ainsi la nation des égarements de ses mandataires, en l’appelant à de nouveaux choix : à eux appartient la nomination des ministres, nomination qui dirige vers le monarque la reconnaissance nationale, quand les ministres s’acquittent dignement de la mission qu’il leur a confiée ; à eux appartient enfin la distribution des grâces, des faveurs, des récompenses, la prérogative de payer d’un regard ou d’un mot les services rendus à