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que par ses ministres. Mais alors quelle est l’utilité du pouvoir supérieur au ministère ? Dans une monarchie, c’est d’empêcher que d’autres ne s’en emparent, et d’établir un point fixe, inattaquable, dont les passions ne puissent approcher. Mais rien de pareil n’a lieu dans une république, où tous les citoyens peuvent arriver au pouvoir suprême.

Supposez, dans la constitution de 1795, un Directoire inviolable et un ministère actif et énergique. Aurait-on souffert longtemps cinq hommes qui ne faisaient rien, derrière six hommes qui auraient tout fait ? Un gouvernement républicain a besoin d’exercer sur ses ministres une autorité plus absolue qu’un monarque héréditaire : car il est exposé à ce que ses instruments deviennent ses rivaux. Mais, pour qu’il exerce une telle autorité, il faut qu’il appelle sur lui-même la responsabilité des actes qu’il commande : car on ne peut se faire obéir des hommes, qu’en les garantissant du résultat de l’obéissance.

Les républiques sont donc forcées à rendre responsable le pouvoir suprême. Mais alors la responsabilité devient illusoire.

Une responsabilité qui ne peut s’exercer que sur des hommes dont la chute interromprait les relations extérieures et frapperait d’immobilité les rouages intérieurs de l’État ne s’exercera jamais. Voudra-t-on bouleverser la société pour venger les droits d’un, de dix, de cent, de mille citoyens, disséminés sur une surface de trente mille lieues carrées ? L’arbitraire sera sans remède, parce que le remède sera toujours plus fâcheux qu’un mal modéré. Les coupables échapperont, tantôt par l’usage qu’ils feront de leur pouvoir pour corrompre, tantôt parce que ceux mêmes qui seraient disposés à les accuser frémiront de l’ébranlement qu’une accusation