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n’y a pas de conscience. Il n’y a dans l’adversité, comme dans le bonheur, de mesure que dans la morale. Où la morale ne gouverne pas, le bonheur se perd par la démence, l’adversité par l’avilissement.

Quel effet doit produire sur une nation courageuse cette aveugle frayeur, cette pusillanimité soudaine, sans exemple encore au milieu de nos orages ? Car ces révolutionnaires, justement condamnés pour tant d’excès, avaient du moins senti que leur vie était solidaire de leur cause, et qu’il ne fallait pas provoquer l’Europe, quand on n’osait pas lui résister. Certes, la France gémissait depuis douze ans sous une lourde et cruelle tyrannie. Les droits les plus saints étaient violés, toutes les libertés étaient envahies. Mais il y avait une sorte de gloire. L’orgueil national trouvait (c’était un tort) un certain dédommagement à n’être opprimé que par un chef invincible. Aujourd’hui que reste-t-il ? plus de prestige, plus de triomphes, un empire mutilé, l’exécration du monde, un trône dont les pompes sont ternies, dont les trophées sont abattus, et qui n’a pour tout entourage que les ombres errantes du duc d’Enghien, de Pichegru, de tant d’autres, qui furent égorgés pour le fonder ! Vous qui désiriez une république, que dites-vous d’un maître qui a trompé vos espérances et flétri les lauriers dont l’ombrage voilait vos dissensions civiles, et faisait admirer jusqu’à vos erreurs ?

FIN.