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Terme inévitable des succès d’une station conquérante.

La force nécessaire à un peuple, pour tenir tous les autres dans la sujétion, est aujourd’hui, plus que jamais, un privilège qui ne peut durer. La nation qui prétendrait à un pareil empire se placerait dans un poste plus périlleux que la peuplade la plus faible. Elle deviendrait l’objet d’une horreur universelle. Toutes les opinions, tous les vœux, toutes les haines la menaceraient, et tôt ou tard ces haines, ces opinions et ces vœux éclateraient pour l’envelopper.

Il y aurait sans doute dans cette fureur contre tout un peuple quelque chose d’injuste. Un peuple tout entier n’est jamais coupable des excès que son chef lui fait commettre. C’est ce chef qui l’égare, ou, plus souvent encore, qui le domine sans l’égarer.

Mais les nations, victimes de sa déplorable obéissance, ne sauraient lui tenir compte des sentiments cachés que sa conduite dément. Elles reprochent aux instruments le crime de la main qui les dirige. La France entière souffrait de l’ambition de Louis XIV et la détestait ; mais l’Europe accusait la France de cette ambition, et la Suède a porté la peine du délire de Charles XII.

Lorsqu’une fois le monde aurait repris sa raison, reconquis son courage, vers quels lieux de la terre l’agresseur menacé tournerait-il les yeux pour trouver des défenseurs ? À quels sentiments en appellerait-il ? Quelle apologie ne serait pas décréditée d’avance, si elle sortait de la même bouche qui, durant sa prospérité coupable, aurait prodigué tant d’insultes, proféré tant