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De l’esprit de conquête dans l’état actuel de l’Europe.

Un gouvernement qui voudrait aujourd’hui pousser à la guerre et aux conquêtes un peuplé européen commettrait donc un grossier et funeste anachronisme. Il travaillerait à donner à sa nation une impulsion contraire à la nature. Aucun des motifs qui portaient les hommes d’autrefois à braver tant de périls, à supporter tant de fatigues, n’existant pour les hommes de nos jours, il faudrait leur offrir d’autres motifs, tirés de l’état actuel de la civilisation. Il faudrait les animer au combat par ce même amour des jouissances, qui, laissé à lui-même, ne les disposerait qu’à la paix. Notre siècle, qui apprécie tout par l’utilité, et qui, lorsqu’on veut le sortir de cette sphère, oppose l’ironie à l’enthousiasme réel ou factice, ne consentirait pas à se repaître d’une gloire stérile, qu’il n’est plus dans nos habitudes de préférer à toutes les autres. À la place de cette gloire, il faudrait mettre le plaisir ; à la place du triomphe, le pillage. L’on frémira, si l’on réfléchit à ce que serait l’esprit militaire, appuyé sur ces seuls motifs.

Certes, dans le tableau que je vais tracer, il est loin de moi de vouloir faire injure à ces héros, qui, se plaçant avec délices entre la patrie et les périls, ont, dans tous les pays, protégé l’indépendance des peuples ; à ces héros qui ont si glorieusement défendu notre belle France. Je ne crains pas d’être mal compris par eux. Il en est plus d’un dont l’âme, correspondant à la mienne, partage tous mes sentiments, et qui, retrouvant dans ces