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veur d’un seul homme ou d’un petit nombre ; mais leur pouvoir est borné comme celui du peuple qui les en a revêtus. Par ce retranchement d’un seul mot, inséré gratuitement dans la construction d’une phrase, tout l’affreux système de Hobbes s’écroule. Au contraire, avec le mot absolu, ni la liberté, ni, comme on le verra dans la suite le repos, ni le bonheur ne sont possibles sous aucune institution. Le gouvernement populaire n’est qu’une tyrannie convulsive, le gouvernement monarchique qu’un despotisme plus concentré.

Lorsque la souveraineté n’est pas limitée, il n’y a nul moyen de mettre les individus à l’abri des gouvernements. C’est en vain que vous prétendez soumettre les gouvernements à la volonté générale. Ce sont toujours eux qui dictent cette volonté, et toutes les précautions deviennent illusoires.

Le peuple, dit Rousseau, est souverain sous un rapport, et sujet sous un autre : mais dans la pratique, ces deux rapports se confondent. Il est facile à l’autorité d’opprimer le peuple comme sujet, pour le forcer à manifester comme souverain la volonté qu’elle lui prescrit[1].

Aucune organisation politique ne peut écarter ce danger. Vous avez beau diviser les pouvoirs : si la somme totale du pouvoir est illimitée, les pouvoirs divisés n’ont qu’à former une coalition, et le despotisme est sans remède. Ce qui nous importe, ce n’est pas que nos droits ne puissent être violés par tel pouvoir, sans l’approbation de tel autre, mais que cette violation soit interdite

  1. « Le triomphe de la force tyrannique est de contraindre les esclaves à se proclamer libres ; mais en se prêtant à ce simulacre mensonger de liberté, les esclaves devenus complices sont aussi méprisables que leurs maîtres. » Benjamin Constant. Discours, t. II, p. 60.
    (Note de M. Laboulaye.)