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Les réactions contre les hommes perpétuent les révolutions ; car elles perpétuent l’oppression, qui en est le germe. Les réactions contre les idées rendent les révolutions infructueuses, car elles rappellent les abus. Les premières dévastent la génération qui les éprouve, les secondes pèsent sur toutes les générations. Les premières frappent de mort les individus, les secondes frappent de stupeur l’espèce entière.

Pour empêcher la succession des malheurs, il faut comprimer les unes ; pour retirer, s’il est possible, quelque fruit des malheurs qu’on n’a pu prévenir, il faut amortir les autres.

Les réactions contre les hommes, effets de l’action précédente, sont des causes de réactions futures. Le parti qui fut opprimé opprime à son tour ; celui qui se voit illégalement victime de la fureur qu’il a méritée s’efforce de ressaisir le pouvoir ; et lorsque son triomphe arrive, il a deux raisons d’excès au lieu d’une : sa disposition naturelle, qui lui fit commettre ses premiers crimes, et son ressentiment des crimes qui furent la suite et le châtiment des siens.

De la sorte, les causes de malheur s’entassent, tous les freins se brisent, tous les partis deviennent également coupables, toutes les bornes sont franchies ; les forfaits sont punis par des forfaits ; le sentiment de l’innocence, ce sentiment qui fait du passé le garant de l’avenir, n’existe plus nulle part, et toute une génération pervertie par l’arbitraire est poussée loin des lois par tous les motifs : par la crainte et par la vengeance, par la fureur et par le remords.

La vengeance est étrangement aveugle[1] ; elle pardonne

  1. Si l’on se rappelle la réaction qui suivit le 1er prairial an III, on ne trouvera que trop de faits qui viennent à l’appui des réflexions qu’on va lire.