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remit le sort des individus à leur caprice, et le sort de la guerre à leur frénésie. Ces horreurs ne servirent de rien à la république. Lors même que Saint-Just n’eût pas fait périr des milliers d’innocents à l’armée du Rhin, l’armée eût-elle moins bien combattu ? Ne flétrissons pas nos triomphes dans leur source, et songeons qu’on ne peut attribuer ni à des fureurs proconsulaires, ni à des échafauds permanents, les victoires d’Arcole et de Rivoli.

Le gouvernement avait le droit de scruter sévèrement la conduite de ses généraux, ou victorieux, ou vaincus, et de faire juger sans indulgence les traîtres ou les lâches. Mais ce n’est pas là ce que fit la terreur. Elle livra ceux qu’elle soupçonnait ou qu’elle haïssait à des bourreaux et versa le sang de guerriers irréprochables. Ces meurtres n’étaient d’aucune nécessité, puisqu’il faut examiner la nécessité des meurtres. Ils cessèrent, et pas un général républicain ne s’est depuis rendu coupable de faiblesse ou de trahison.

Le gouvernement avait le droit de surveiller, de poursuivre, de traduire devant les tribunaux ceux qui conspiraient contre la république ; mais la terreur créa des tribunaux sans appel, sans formes, et assassina sans jugement soixante victimes par jour. On a prétendu que ces atrocités ne furent pas sans fruit, et que la mort ne choisissant pas, tout tremblait. Oui, tout tremblait sans doute, mais il eût suffi que tous les coupables tremblassent, et le supplice de vieillards octogénaires, de jeunes filles de quinze ans, d’accusés non interrogés, ne pouvait être nécessaire pour effrayer les conspirateurs.

Le gouvernement avait le droit d’appeler tous les citoyens à contribuer aux besoins de l’État, et la loi l’eût armé d’une sévérité inflexible pour les y forcer. Mais