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Sans doute, lorsqu’un juge condamne à la fois un innocent et un coupable, la terreur s’empare de tous les coupables, comme de tous les innocents. Mais la punition du coupable aurait rempli, de ce but, tout ce qui était nécessaire. Les coupables auraient également tremblé, quand le crime seul eût été frappé. Lorsqu’on voit, à la fois, une atrocité et une justice, il faut se garder de faire de ces deux choses un monstrueux ensemble. Il ne faut pas sur cette confusion déplorable se bâtir un système d’indifférence pour les moyens ; il ne faut pas attribuer sans discernement tous les effets à toutes les causes, et prodiguer au hasard son admiration à ce qui est atroce, et son horreur à ce qui est légal.

Séparons donc, dans l’histoire de l’époque révolutionnaire, ce qui appartient au gouvernement et les mesures qu’il eut droit de prendre, d’avec les crimes qu’il a commis et qu’il n’avait pas le droit de commettre.

Le gouvernement (je ne le considère pas ici sous le rapport de son origine, mais simplement en sa qualité de gouvernement), le gouvernement avait le droit d’envoyer les citoyens repousser les ennemis. Ce droit appartient à tous les gouvernements ; ils l’ont dans les pays monarchiques, ils l’ont dans les pays républicains ; ils l’ont en Suisse aussi bien qu’en Russie, et comme la gravité d’un délit résulte des conséquences qu’il peut avoir, le gouvernement avait encore le droit d’attacher la peine la plus sévère au refus de partir pour les frontières, à la désertion, à la fuite des soldats. Mais ce n’est pas là ce que fit la terreur. Elle envoya des Saint-Just, des Lebas, dévaster des armées obéissantes et courageuses ; elle abolit toutes les formes, même militaires ; elle revêtit ses instruments de pouvoirs illimités ; elle