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Lorsqu’on fait l’apologie de la terreur (et n’est-ce pas faire son apologie que prétendre que, sans elle, la révolution aurait manqué), l’on tombe dans un abus de mots. On confond la terreur avec les mesures qui ont existé à côté de la terreur. On ne considère pas que, dans les gouvernements les plus tyranniques, il y a une partie légale, répressive et coercitive, qui leur est commune avec les gouvernements les plus équitables, par une raison bien simple, c’est que cette partie est la base de l’existence de tout gouvernement.

Ainsi, l’on dit que ce fut la terreur qui fit marcher aux frontières, que ce fut la terreur qui rétablit la discipline dans les armées, qui frappa d’épouvante les conspirateurs, qui abattit toutes les factions.

Tout cela est faux. Les hommes qui opérèrent toutes ces choses étaient, en effet, les mêmes hommes qui disposaient de la terreur ; mais ce ne fut pas par la terreur qu’ils les opérèrent. Il y eut, dans l’exercice de leur autorité, deux parties : la partie gouvernante et la partie atroce, ou la terreur. C’est à l’une qu’il faut attribuer leurs succès ; à l’autre, leurs dévastations et leurs crimes.

Comme, en même temps qu’ils opprimaient et dévastaient le pays, il leur fallait, pour leur existence, gouverner, la terreur et le gouvernement coexistèrent ; et de là la méprise qui fit prendre, tour à tour, le gouvernement pour la terreur, et la terreur pour le gouvernement.

Que si l’on dit que la terreur aida le gouvernement, et que l’effroi qu’inspira l’autorité par sa partie atroce redoubla la soumission à la partie légitime, on dit une chose évidente et commune. Mais il n’en résulte pas que ce redoublement d’effroi fût nécessaire, et que le gouvernement n’eût pas eu, par la justice, les moyens suffisants pour forcer l’obéissance.