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tements ; et qu’en descendant au fond de son propre cœur, on se demande ce qu’on éprouverait à leur place, repoussé par la dureté, blessé par l’insolence, l’on devient moins impitoyable pour des délits qui ne supposent pas, comme l’homicide, l’oubli des sentiments naturels. Le meurtre est la violation des lois de la nature ; les attentats contre la propriété sont la violation d’une convention sociale. Cette convention sévère doit être observée. La loi doit s’armer pour la maintenir : mais elle ne doit pas, dédaigneuse de toutes les gradations du crime, frapper de la peine réservée à celui qui s’est montré sans pitié le malheureux qu’a peut-être égaré la pitié même pour les êtres souffrants qui l’entourent.

L’intention du crime, assimilée par notre Code à l’exécution, en diffère sous ce rapport essentiel, qu’il est dans la nature de l’homme de reculer devant l’action longtemps après qu’il s’est familiarisé avec la pensée. Pour nous en convaincre, écartons un instant la notion du crime, et retraçons-nous ce que sûrement chacun de nous a éprouvé, lorsque, forcé par les circonstances, il avait formé une résolution qui pouvait causer autour de lui une grande douleur. Que de fois, après s’être affermi dans ses projets par le raisonnement, par le calcul, par le sentiment d’une nécessité vraie ou supposée, il a senti ses forces l’abandonner à l’aspect de celui qu’il aurait affligé, ou à la vue des larmes que faisaient couler ses premières paroles ! Que de liaisons dont la durée tient à cette seule cause ! Combien souvent l’égoïsme ou la prudence, qui, solitaires, se croient invincibles, fléchissent devant la présence ! Ce qui se passe en nous, quand il s’agit de causer de la douleur, a lieu dans les âmes plus grossières et dans les classes moins éclairées, quand il est question d’un crime positif. Qui peut affirmer que l’homme qui, tourmenté de besoins ou égaré par quelque