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core des hommes choisis soigneusement entre tout le peuple, comme les plus affranchis de tout scrupule de conscience et de tout respect pour l’opinion.

Enfin, je considère le droit de grâce comme une dernière protection accordée à l’innocence.

L’on a opposé à ce droit un de ces dilemmes tranchants qui semblent simplifier les questions, parce qu’ils les faussent. Si la loi est juste, a-t-on dit, nul ne doit avoir le droit d’en empêcher l’exécution : si la loi est injuste, il faut la changer. Il ne manque à ce raisonnement qu’une condition, c’est qu’il y ait une loi pour chaque fait.

Plus une loi est générale, plus elle s’éloigne des actions particulières sur lesquelles néanmoins elle est destinée à prononcer. Une loi ne peut être parfaitement juste que pour une seule circonstance : dès qu’elle s’applique à deux circonstances, que distingue la différence la plus légère, elle est plus ou moins injuste dans l’un des deux cas. Les faits se nuancent à l’infini ; les lois ne peuvent suivre toutes ces nuances. Le dilemme que nous avons apporté est donc erroné. La loi peut être juste comme loi générale, c’est-à-dire il peut être juste d’attribuer telle peine à telle action ; et cependant la loi peut n’être pas juste dans son application à tel fait particulier ; c’est-à-dire telle action, matériellement la même que celle que la loi avait en vue, peut en différer d’une manière réelle, bien qu’indéfinissable légalement. Le droit de faire grâce n’est autre chose que la conciliation de la loi générale avec l’équité particulière[1].


  1. Voir le chapitre intitulé : de la justice en France et de l’égalité devant la loi, dans le livre de M. Laboulaye, le Parti libéral, p. 225 et suiv.
    (Note de l’éditeur.)