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une fois, ils n’ont aucun intérêt à les trouver telles. Dans les cas extrêmes, c’est-à-dire, quand les jurés seront placés entre un sentiment irrésistible de justice et d’humanité, et la lettre de la loi, j’oserai le dire, ce n’est pas un mal qu’ils s’en écartent ; il ne faut pas qu’il existe une loi qui révolte l’humanité du commun des hommes, tellement que des jurés, pris dans le sein d’une nation, ne puissent se déterminer à concourir à l’application de cette loi ; et l’institution des juges permanents, que l’habitude réconcilierait avec cette loi barbare, loin d’être un avantage, serait un fléau.

Les jurés, dit-on, manqueront à leur devoir, tantôt par peur, tantôt par pitié : si c’est par peur, ce sera la faute de la police, trop négligente, qui ne les mettra pas à l’abri des vengeances individuelles ; si c’est par pitié, ce sera la faute de la loi trop rigoureuse.

L’insouciance, l’indifférence, la frivolité françaises, sont le résultat d’institutions défectueuses, et l’on allègue l’effet pour perpétuer la cause. Aucun peuple ne reste indifférent à ses intérêts, quand on lui permet de s’en occuper : lorsqu’il leur est indifférent, c’est qu’on l’en a repoussé. L’institution du juré est sous ce rapport d’autant plus nécessaire au peuple français, qu’il en paraît momentanément plus incapable : il y trouvera non-seulement les avantages particuliers de l’institution, mais l’avantage général et plus important de refaire son éducation morale.

À l’inamovibilité des juges et à la sainteté des jurés il faut réunir encore le maintien constant et scrupuleux des formes judiciaires.

Par une étrange pétition de principe, l’on a sans cesse, durant la révolution, déclaré convaincus d’avance les hommes qu’on allait juger.

Les formes sont une sauvegarde : l’abréviation des