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jamais l’instruction ni la fermeté nécessaire pour que le juré remplisse son but. Telle est notre indifférence pour tout ce qui a rapport à l’administration publique, tel est l’empire de l’égoïsme et de l’intérêt particulier, la tiédeur, la nullité de l’esprit public, que la loi qui établit ce mode de procédure ne peut être exécutée. Mais ce qu’il faut, c’est avoir un esprit public qui surmonte cette tiédeur et cet égoïsme. Croit-on qu’un esprit semblable existerait chez les Anglais, sans l’ensemble de leurs institutions politiques ? Dans un pays où l’institution des jurés a sans cesse été suspendue, la liberté des tribunaux violée, les accusés traduits devant des commissions, cet esprit ne peut naître : on s’en prend à l’institution des jurés ; c’est aux atteintes qu’on lui a portées qu’il faudrait s’en prendre.

Le juré, dit-on, ne pourra pas, comme l’esprit de l’institution l’exige, séparer sa conviction intime d’avec les pièces, les témoignages, les indices ; choses qui ne sont pas nécessaires, quand la conviction existe, et qui sont insuffisantes, quand la conviction n’existe pas. Mais il n’y a aucun motif de séparer ces choses ; au contraire, elles sont les éléments de la conviction. L’esprit de l’institution veut seulement que le juré ne soit pas astreint à prononcer d’après un calcul numérique, mais d’après l’impression que l’ensemble des pièces, témoignages ou indices aura produite sur lui. Or, les lumières du simple bon sens suffisent pour qu’un juré sache et puisse déclarer si, après avoir entendu les témoins, pris lecture des pièces, comparé les indices, il est convaincu ou non.

Si les jurés, continue l’auteur que je cite, trouvent une loi trop sévère, ils absoudront l’accusé, et déclareront le fait non constant, contre leur conscience ; et il suppose le cas où un homme serait accusé d’avoir donné asile à son