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une destinée inévitable ; alors l’autorité prend en haine des hommes qui n’ont fait que profiter du bénéfice inhérent à leur situation, elle encourage contre eux les déclamations et les calomnies, elle annule ses marchés, elle retarde ou refuse les payements qu’elle a promis ; elle prend des mesures générales qui, pour atteindre quelques suspects, enveloppent sans examen toute une classe. Pour pallier cette iniquité, l’on a soin de représenter ces mesures comme frappant exclusivement ceux qui sont à la tête des entreprises dont on leur enlève le salaire : on excite contre quelques noms odieux ou flétris l’animadversion du peuple ; mais les hommes que l’on dépouille, ne sont pas isolés ; ils n’ont pas tout fait par eux-mêmes ; ils ont employé des artisans, des manufacturiers qui leur ont fourni des valeurs réelles ; c’est sur ces derniers que retombe la spoliation que l’on semble n’exercer que contre les autres, et ce même peuple qui, toujours crédule, applaudit à la destruction de quelques fortunes, dont l’énormité prétendue l’irrite, ne calcule pas que toutes ces fortunes, reposant sur des travaux dont il avait été l’instrument, tendaient à refluer jusqu’à lui, tandis que leur destruction lui dérobe à lui-même le prix de ses propres travaux.

Les gouvernements ont toujours un besoin plus ou moins grand d’hommes qui traitent avec eux. Un gouvernement ne peut acheter au comptant, comme un particulier ; il faut ou qu’il paye d’avance, ce qui est impraticable, ou qu’on lui fournisse à crédit les objets dont il a besoin : s’il maltraite et avilit ceux qui les lui livrent, qu’arrive-t-il ? Les hommes honnêtes se retirent, ne voulant pas faire un métier honteux ; des hommes dégradés se présentent seuls : ils évaluent le prix de leur honte, et prévoyant de plus qu’on les paiera mal, ils se paient par leurs propres mains. Un gouvernement