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moitié, au quart, au huitième, ce qui reste de cette dette n’en est que plus décrédité. Personne n’a besoin ni envie d’une dette que l’on ne paye pas. Quand il s’agit des particuliers, la puissance de remplir leurs engagements est la condition principale, parce que la loi est plus forte qu’eux. Mais quand il est question des gouvernements, la condition principale est la volonté[1].

Il est un autre genre de banqueroutes, sur lequel plusieurs gouvernements semblent se faire encore moins de scrupules. Engagés, soit par ambition, soit par imprudence, soit aussi par nécessité, dans des entreprises dispendieuses, ils contractent avec des commerçants pour les objets nécessaires à ces entreprises. Leurs traités sont désavantageux, cela doit être : les intérêts d’un gouvernement ne peuvent jamais être défendus avec autant de zèle que les intérêts des particuliers ; c’est la destinée commune à toutes les transactions sur lesquelles les parties ne peuvent pas veiller elles-mêmes, et c’est

  1. Ce que dit ici Benjamin Constant au sujet de la dette publique est la voix même de la justice et de la vérité ; mais ces larges maximes n’ont été que trop souvent méconnues chez nous. À dater de Mazarin, les banqueroutes se succèdent périodiquement sous le nom de visa, de réduction, de remboursement. Les réductions sont continuelles sous Louis XIII ; des titres de rente sur l’Hôtel de ville de Paris, qui, en 1614, donnaient 1 000 liv. de revenus n’en donnaient plus que 400 en 1644. En 1716, les rentes viagères sur les tailles, créées pendant les dernières années de Louis XIV, sont réduites d’un quart lorsqu’elles ont été achetées moitié en argent, moitié en billets d’État, et de moitié lorsqu’elles ont été achetées intégralement avec ces mêmes billets, ce qui produit sur une somme de 6 699 589 liv. d’intérêt, une diminution de 3 483 793 liv. Mazarin, Colbert lui-même, le Régent, l’abbé Terray, usèrent sans aucun scrupule de ces tristes expédients, et c’est en s’élevant comme eux au-dessus de tous les droits, que depuis 1813 quelques ministres des finances ont consolidé la dette par des conversions qui ne sont en définitive que des banqueroutes partielles, car la conversion ne peut être établie qu’à la condition qu’elle sera faite avec offre de remboursement au pair, de la part de l’État débiteur.
    (Note de l’éditeur.)