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Si l’on réduit la dette d’un quart, qui empêche de la réduire d’un tiers, des neuf dixièmes, ou de la totalité ? Quelle garantie peut-on donner à ses créanciers, ou se donner à soi-même ? Le premier pas en tout genre rend le second plus facile. Si des principes sévères avaient astreint l’autorité à l’accomplissement de ses promesses, elle aurait cherché des ressources dans l’ordre et l’économie. Mais elle a essayé celles de la fraude, elle a admis qu’elles étaient à son usage : elles la dispensent de tout travail, de toute privation, de tout effort. Elle y reviendra sans cesse, car elle n’a plus pour se retenir la conscience de l’intégrité.

Tel est l’aveuglement qui suit l’abandon de la justice, qu’on a quelquefois imaginé qu’en réduisant les dettes par un acte d’autorité, on ranimerait le crédit qui semblait déchoir. On est parti d’un principe qu’on avait mal compris et qu’on a mal appliqué. L’on a pensé que moins on devrait, plus on inspirerait de confiance, parce qu’on serait plus en état de payer ses dettes ; mais on a confondu l’effet d’une libération légitime et celui d’une banqueroute. Il ne suffit pas qu’un débiteur puisse satisfaire à ses engagements, il faut encore qu’il le veuille, ou qu’on ait les moyens de l’y forcer. Or, un gouvernement qui profite de son autorité pour annuler une partie de sa dette prouve qu’il n’a pas la volonté de payer. Ses créanciers n’ont pas la faculté de l’y contraindre : qu’importent donc ses ressources ?

Il n’en est pas d’une dette publique comme des denrées de première nécessité : moins il y a de ces denrées, plus elles ont de valeur. C’est qu’elles ont une valeur intrinsèque, et que leur valeur relative s’accroît par leur rareté. La valeur d’une dette au contraire ne dépend que de la fidélité du débiteur. Ébranlez la fidélité, la valeur est détruite. L’on a beau réduire la dette à la