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créant la nécessité pour quelques-uns, elle fournit à tous l’excuse. L’égoïsme bien plus subtil, plus adroit, plus prompt, plus diversifié que l’autorité, s’élance au signal donné. Il déconcerte toutes les précautions par la rapidité, la complication, la variété de ses fraudes. Quand la corruption peut se justifier par la nécessité, elle n’a plus de bornes. Si l’État veut mettre une différence entre ses transactions et les transactions des individus, l’injustice n’en est que plus scandaleuse.

Les créanciers d’une nation ne sont qu’une partie de cette nation. Quand on met des impôts pour acquitter les intérêts de la dette publique, c’est sur la nation entière qu’on la fait peser : car les créanciers de l’État comme contribuables payent leur part de ces impôts. En réduisant la dette, on la rejette sur les créanciers seuls. C’est donc conclure de ce qu’un poids est trop fort pour être supporté par tout un peuple, qu’il sera supporté plus facilement par le quart, ou par le huitième de ce peuple.

Toute réduction forcée est une banqueroute. On a traité avec des individus d’après des conditions que l’on a librement offertes ; ils ont rempli ces conditions ; ils ont livré leurs capitaux ; ils les ont retirés des branches d’industrie qui leur promettaient des bénéfices : on leur doit tout ce qu’on leur a promis ; l’accomplissement de ces promesses est l’indemnité légitime des sacrifices qu’ils ont faits, des risques qu’ils ont courus. Que si un ministre regrette d’avoir proposé des conditions onéreuses, la faute en est à lui, et nullement à ceux qui n’ont fait que les accepter. La faute en est doublement à lui ; car ce qui a surtout rendu ses conditions onéreuses, ce sont ses infidélités antérieures ; s’il avait inspiré une confiance entière, il aurait obtenu de meilleures conditions.