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d’indépendance, et l’égalité grossière et forcée qu’ils nous recommandent mettrait un obstacle invincible à l’établissement graduel de l’égalité véritable, celle du bonheur et des lumières.

La propriété, en sa qualité de convention sociale, est de la compétence et sous la juridiction de la société. La société possède sur elle des droits qu’elle n’a point sur la liberté, la vie et les opinions de ses membres.

Mais la propriété se lie intimement à d’autres parties de l’existence humaine, dont les unes ne sont pas du tout soumises à la juridiction collective, et dont les autres ne sont soumises à cette juridiction que d’une manière limitée. La société doit en conséquence restreindre son action sur la propriété, parce qu’elle ne pourrait l’exercer dans toute son étendue sans porter atteinte à des objets qui ne lui sont pas subordonnés.

L’arbitraire sur la propriété est bientôt suivi de l’arbitraire sur les personnes : premièrement, parce que l’arbitraire est contagieux ; en second lieu, parce que la violation de la propriété provoque nécessairement la résistance. L’autorité sévit alors contre l’opprimé qui résiste ; et, parce qu’elle a voulu lui ravir son bien, elle est conduite à porter atteinte à sa liberté.

Je ne traiterai pas dans ce chapitre des confiscations illégales et autres attentats politiques contre la propriété[1]. L’on ne peut considérer ces violences comme des

  1. Le système de confiscation, largement appliqué sous l’ancienne monarchie, a été aboli par la charte de 1814. Pour justifier cette coutume juridique qui faisait peser sur les enfants le châtiment de leurs pères on invoquait le dogme de la transmission du péché originel. Bossuet, qui manque rarement d’appeler la théologie au secours du despotisme, dit à ce sujet dans le chap. iv du Traité de la connaissance de Dieu : « Je ne sais quoi est imprimé dans le cœur de l’homme pour me faire connaître une justice qui punit les pères criminels sur leurs enfants comme étant une portion de leur être. »
    (Note de l’éditeur.)