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de lumières auquel l’homme arrivera peut-être, mais sur lequel il serait absurde de fonder nos institutions présentes ; mais ils ont établi, comme démontrée, une diminution du travail actuellement requis pour la subsistance de l’espèce humaine, telle que cette diminution dépasse toute invention même soupçonnée. Certainement chacune de nos découvertes en mécanique, qui remplacent par des instruments et des machines la force physique de l’homme, est une conquête pour la pensée, et, d’après les lois de la nature, ces conquêtes devenant plus faciles à mesure qu’elles se multiplient, doivent se succéder avec une vitesse accélérée ; mais il y a loin encore de ce que nous avons fait, et même de ce que nous pouvons imaginer en ce genre, à une exemption totale de travail manuel ; néanmoins cette exemption serait indispensable pour rendre possible l’abolition de la propriété, à moins qu’on ne voulût, comme quelques-uns de ces écrivains le demandent, répartir ce travail également entre tous les membres de l’association ; mais cette répartition, si elle n’était pas une rêverie, irait contre son but même, enlèverait à la pensée le loisir qui doit la rendre forte et profonde, à l’industrie la persévérance qui la porte à la perfection, à toutes les classes les avantages de l’habitude, de l’unité du but et de la centralisation des forces. Sans propriété, l’espèce humaine resterait stationnaire et dans le degré le plus brut et le plus sauvage de son existence. Chacun chargé de pourvoir seul à tous ses besoins partagerait ses forces pour y subvenir, et, courbé sous le poids de ces soins multipliés, n’avancerait jamais d’un pas. L’abolition de la propriété serait destructive de la division du travail, base du perfectionnement de tous les arts et de toutes les sciences. La faculté progressive, espoir favori des écrivains que je combats, périrait faute de temps et