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Loin donc, Messieurs, de renoncer à aucune des deux espèces de liberté dont je vous ai parlé, il faut, je l’ai démontré, apprendre à les combiner l’une avec l’autre. Les institutions, comme le dit le célèbre auteur de l’histoire des républiques du moyen âge[1], doivent accomplir les destinées de l’espèce humaine ; elles atteignent d’autant mieux leur but qu’elles élèvent le plus grand nombre possible de citoyens à la plus haute dignité morale.

L’œuvre du législateur n’est point complète quand il a seulement rendu le peuple tranquille. Lors même que ce peuple est content, il reste encore beaucoup à faire. Il faut que les institutions achèvent l’éducation morale des citoyens. En respectant leurs droits individuels, en ménageant leur indépendance, en ne troublant point leurs occupations, elles doivent pourtant consacrer leur influence sur la chose publique, les appeler à concourir par leurs déterminations et par leurs suffrages à l’exercice du pouvoir, leur garantir un droit de contrôle et de surveillance par la manifestation de leurs opinions, et les formant de la sorte, par la pratique, à ces fonctions élevées, leur donner à la fois et le désir et la faculté de s’en acquitter[2].


  1. M. de Sismondi.
  2. Les idées exprimes ici par Benjamin Constant sont très-justes au point de vue philosophie ; mais par malheur elles sont jusqu’à présent bien peu répandues en France. L’établissement du suffrage universel, en donnant à la population la plus grande somme de droits politiques qui ait jamais existé, a fait voir combien peu nous comprenons nos devoirs civiques : la grande majorité des électeurs est parfaitement indifférente ou, quand elle ne l’est pas, elle devient trop souvent la proie des partis extrêmes ou des intrigants. Il y a dans les villes aussi bien que dans les campagnes une masse d’électeurs auxquels on peut faire tout croire ; et l’on mène toute la France avec une dizaine de mots. Ici, il suffit de dire d’un candidat : c’est un rouge, il veut le