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lation met un obstacle invisible et invincible à cette action du pouvoir social.

Les effets du commerce s’étendent encore plus loin ; non-seulement il affranchit les individus, mais en créant le crédit, il rend l’autorité dépendante.

L’argent, dit un auteur français, est l’arme la plus dangereuse du despotisme ; mais il est en même temps son frein le plus puissant ; le crédit est soumis à l’opinion ; la force est inutile, l’argent se cache ou s’enfuit ; toutes les opérations de l’État sont suspendues. Le crédit n’avait pas la même influence chez les anciens ; leurs gouvernements étaient plus forts que les particuliers ; les particuliers sont plus forts que les pouvoirs politiques de nos jours ; la richesse est une puissance plus disponible dans tous les instants, plus applicable à tous les intérêts, et par conséquent bien plus réelle et mieux obéie ; le pouvoir menace, la richesse récompense ; on échappe au pouvoir en le trompant ; pour obtenir les faveurs de la richesse, il faut la servir ; celle-ci doit l’emporter.

Par une suite des mêmes causes, l’existence individuelle est moins englobée dans l’existence politique. Les individus transplantent au loin leurs trésors ; ils portent avec eux toutes les jouissances de la vie privée ; le commerce a rapproché les nations, et leur a donné des mœurs et des habitudes à peu près pareilles ; les chefs peuvent être ennemis ; les peuples sont compatriotes.

Que le pouvoir s’y résigne donc ; il nous faut la liberté, et nous l’aurons ; mais comme la liberté qu’il nous faut est différente de celle des anciens, il faut à cette liberté une autre organisation que celle qui pourrait convenir à la liberté antique. Dans celle-ci, plus l’homme consacrait de temps et de forces à l’exercice de ses droits politiques, plus il se croyait libre ; dans l’espèce de liberté dont nous sommes susceptibles, plus