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de l’autre, l’arbitraire des censeurs était contenu par une espèce de surveillance morale exercée contre eux. Mais aussitôt que l’étendue de la république, la complication des relations sociales, et les raffinements de la civilisation, eurent enlevé à cette institution ce qui lui servait à la fois de base et de limite, la censure dégénéra, même à Rome. Ce n’était donc pas la censure qui avait crée les bonnes mœurs ; c’était la simplicité des mœurs qui constituait la puissance et l’efficacité de la censure.

En France, une institution aussi arbitraire que la censure serait à la fois inefficace et intolérable. Dans l’état présent de la société, les mœurs se composent de nuances fines, ondoyantes, insaisissables, qui se dénatureraient de mille manières, si l’on tentait de leur donner plus de précision. L’opinion seule peut les atteindre ; elle seule peut les juger, parce qu’elle est de même nature. Elle se soulèverait contre toute autorité positive qui voudrait lui donner plus de précision. Si le gouvernement d’un peuple moderne voulait, comme les censeurs de Rome, flétrir un citoyen par une décision discrétionnaire, la nation entière réclamerait contre cet arrêt en ne ratifiant pas les décisions de l’autorité.

Ce que je viens de dire de la transplantation de la censure dans les temps modernes, s’applique à bien d’autres parties de l’organisation sociale, sur lesquelles on nous cite l’antiquité plus fréquemment encore, et avec bien plus d’emphase. Telle est l’éducation, par exemple. Que ne nous dit-on pas sur la nécessité de permettre que le gouvernement s’empare des générations naissantes pour les façonner à son gré, et de quelles citations érudites n’appuie-t-on pas cette théorie ? Les Perses, les Égyptiens, et la Gaule, et la Grèce, et l’Italie viennent tour à tour figurer à nos regards ! Eh ! Messieurs, nous ne sommes ni des Perses, soumis à un despote, ni des